Pourquoi je fais mes courses dans le supermarché le plus cher de France

Au petit matin du 17 avril 2020, je promenais mon chien lorsque j’ai aperçu deux chiens sauvages errer au milieu de la route. Nos yeux se croisèrent juste assez longtemps pour que je sache ce qui allait se passer. J’ai pris mon chien dans mes bras et je me suis mis en position de renfort.

Un cri aigu m’a ramené dans mon corps, et quand j’ai ouvert les yeux, j’ai réalisé que c’était moi qui réagissais aux séries de dents perçant ma peau. «Ils vont te tuer», m’a alerté la voix dans ma tête. D’une manière ou d’une autre, j’ai commencé à courir, mon chien serré dans les bras. J’ai traversé la rue en courant, les deux bêtes me poursuivant sans relâche tandis que le sang coulait sur mes jambes.

C’était à mi-chemin du premier confinement covid, donc il y avait peu de véhicules qui passaient à 5h30 du matin. L’un d’eux est passé à côté de moi sciemment, mais la voiture à 5 portes derrière s’est arrêtée. J’ai sauté sur la banquette arrière. Les chiens ont bondi dans la voiture tandis que le conducteur tentait de les effrayer en klaxonnant. Finalement, les deux chiens (comme je l’ai appris plus tard) de garde dressés malinois évadés ont continué vers Monaco et le jeune couple dans la voiture m’a déposé à la maison où j’ai appelé la police (le conducteur les avait déjà contactés) qui m’a mis en contact avec une ambulance.

Ce n’est qu’après être rentré chez moi après avoir subi des points de suture et déposé plainte (les chiens ont ensuite attaqué trois autres victimes à Monaco) que j’ai réalisé que je n’avais aucun moyen de remercier les inconnus qui, littéralement, ont sauvés moi et mon chien de la mutilation à mort.

Quelques jours plus tard, un ami du quartier m’a appelé pour lui dire que le couple dans la voiture travaillait dans notre épicerie locale, le Casino Roquebrune-Cap-Martin.

Lorsque je les ai retrouvés pour leur exprimer ma gratitude, le chauffeur m’a raconté une histoire remarquable. Le matin même de l’attaque, sa voiture à deux portes ne démarrait pas, alors il a emprunté la berline de sa petite amie pour se rendre au travail à l’heure. Il a dit que c’était le destin car avec son collègue comme passager, il n’y aurait pas eu de place pour moi dans sa voiture.

Depuis ce moment, je suis un client fidèle du Casino Roquebrune-Cap-Martin. Et je m’en voudrais donc de ne pas répondre au titre de cette semaine qui le qualifie de « supermarché le plus cher de France ».

Oui, c’est cher. Ce n’est un secret pour personne. Le personnel en parle, les locaux en parlent. C’est comme dire que les gens vivent à Monaco pour éviter de payer de l’impôt.

Pourtant le magasin limitrophe de Monaco a ses avantages. Il ouvre en semaine à 7h30, vous pouvez donc faire vos achats avant d’aller travailler. Pour les personnes sensibles au budget comme moi, il existe l’application CasinoMax qui vous offre une remise de 10 % sur chaque article. Et contrairement au très grand Carrefour Monaco rempli de clients, ce Casino a une surface au sol gérable avec moins de monde qui accapare les allées.

C’est un magasin de proximité pour la communauté de Saint Roman de tous âges qui fait ses courses sans voiture et préfère transporter ses caddies et sacs recyclés avec ses provisions du jour plutôt que de faire ses achats en ligne.

Le couple qui tient les lieux se met en quatre pour me dire bonjour ; lorsque mon Canada natal fait la une des journaux, ils posent des questions sur ma famille. Je ne défends en aucun cas les propriétaires ou leur stratégie de prix de détail. Le sondage (voir vidéo ci-dessous) n’a pas révélé le détail de leurs dépenses de fonctionnement. Peut-être qu’ils pourraient baisser les prix, je ne sais pas.

Ce que je sais, c’est qu’ils ont un personnel exceptionnel. Chaque fois que j’entre dans le supermarché, j’ai un sentiment de famille. Je suis accueilli par un bonjour amical et quelques bavardages. Ces travailleurs sont pour la plupart des trentenaires qui tentent de vivre leur vie comme tout le monde. Certains sont des parents seuls; d’autres ont subi une perte tragique. Certains sont fanatiques de Noël et de la pâtisserie; d’autres ont perdu 20 kg et sont désormais passionnés de sport. Ils sont tous accommodants dans leur rôle et je ne suis pas toujours le client le plus patient.

Ces liens humains comptent pour moi plus que le résultat net. Et je pense que nous oublions que derrière chaque gros titre, des vies sont touchées. Je continuerai à soutenir le supermarché le plus cher de France parce que quelqu’un qui travaille là a fait ce qu’il fallait pour m’aider. Et faire ce qu’il faut n’a pas de prix.

Article publié pour la première fois le 7 septembre 2023.

Article publié pour la première fois le 7 septembre 2023. Read article in English: